Se servir d’un mot : « bipolaire » illustré par un film : « les intranquilles » pour discréditer une personne et la dénoncer comme dangereuse - EDITO


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  « Bipolaire », quésaco ?
Avant mon diagnostic, c’était pour moi un terme appris en droit constitutionnel, dans les années 1980 :  la bipolarité du système des partis de la Vème république Française correspondait à une articulation entre deux pôles droite et gauche.
La psychiatrie a (re)pris ce terme qui provient de la métamorphose de celui de « psychose maniaco-dépressive » (PMD), au cours des années 1990. L’internationalisation du Diagnostic and statistical Manual of mental disorder (DSM), manuel de diagnostic et de classement des maladies réalisé par l’association américaine de psychiatrie (APA), en a été un catalyseur.
Ce changement de nom avait été précédé par une extension du champ diagnostique de ces troubles (DSM 3) vers des formes plus discrètes débouchant sur le concept de « spectre des troubles bipolaire » bien plus large que la PMD d’antan.
L’effet d’aubaine pour l’industrie pharmaceutique est une réalité et ne manque pas de jeter la suspicion sur la véracité et la justesse de ces diagnostics additionnels.  Pourtant, l’intérêt premier, je l’espère, était d’améliorer la qualité de vie des patients qui auparavant n’étaient pas traités.
Cette extension diagnostique doit donc bénéficier au patient et non lui nuire.
Or, force est de constater que ce diagnostic de « troubles bipolaires de l’humeur » est une étiquette lourde à porter dans la société, alors même qu’ils s’expriment de manière variée selon les individus, tout au long d’un continuum en matière d’expression et de sévérité. Les représentations sociales de ces troubles sont en effet très mauvaises et infiltrent les mentalités et les comportements.
Il faut être bien conscient que ces termes sont devenus une arme redoutable entre les mains de ceux qui ont besoin de nuire à ces personnes. C’est une épée de Damoclès au-dessus de celles et ceux qui ont eu ce diagnostic, se soignent et cherchent à s’épanouir dans leur vie malgré ces troubles.
C’est prégnant et spectaculaire dans le cadre des affaires judiciaires familiales. Pour discréditer totalement le conjoint, l’arme que constitue ce diagnostic est maniée par certains de mes anciens confrères sans aucune prudence. En quatre ans, deux adhérentes ont dû subir une tentative de démolition personnelle et sociale en règle de la part de deux avocates de leur conjoint. Elles ont été véritablement « dénoncées » dans le but d’être jugées défavorablement indépendamment des faits. Il n’est pas exclu que le délit de dénonciation calomnieuse de l’article 226-10 du code pénal ait été constitué dans ces dossiers, mais je n’ai pas suffisamment d’éléments pour l’affirmer et ce n’est pas mon rôle aujourd’hui.  
C’est tellement gros que c’est à peine croyable :
-         Il a été attribué à l’une la potentialité d’aller tuer ses enfants la nuit (https://www.psyhope.fr/2019/06/elle-peut-se-lever-la-nuit-et-aller_28.html).
-         La deuxième a été accusée d’être potentiellement dangereuse car « bipolaire », « vous savez, Madame le Juge, comme le personnage des intranquilles » (ayant mis en danger son fils dans certaines scènes).
Quand le conjoint va perdre, que tout est ficelé pour que le juge prenne ses décisions en toute cohérence avec les faits, c’est là que son conseil sort sa botte secrète :
-         Le diagnostic de troubles bipolaires de l’humeur, résumé à « il ou elle est bipolaire », censé prouver la dangerosité, illustrée par un ou plusieurs films.   
Quelle violence et quelle injustice d’être traité comme un sous-citoyen en un instant, d’être démoli, détruit, humilié, jeté en pâture, défait de toutes ces qualités et ses efforts, parce qu’on a un diagnostic de maladie (d’ailleurs qu’on appelle « disorders » troubles) qui recouvre des réalités cliniques très différentes, d’autant plus, en raison de cette notion de spectre, qui est fondamentale.
Je suis en train d’écrire ce texte et coïncidence que je délivre car elle a son intérêt, je reçois sur la ligne de l’association, l’appel d’un proche qui me dit être inquiet pour sa conjointe diagnostiquée avec des troubles bipolaires. Il finit par me dire qu’elle va jusqu’à le frapper. Oui la réalité peut être celle-là, c’est celle qui frappe les esprits et celle qu’on retient, pour combien de personnes de mon association qui vivent et travaillent sans vagues. Ces cas graves qui sont à une extrémité du spectre ne doivent pas faire peser sur les autres un tel opprobre.
Au nom de tous ceux qui vivent avec ce diagnostic, à tous ceux qui auraient envie de se servir de cette arme déloyale : laissez ces gens tranquilles ! laissez-les vivre normalement, sans risquer d’être démolis à des moments clefs de leur vie, par un mot expliqué par un film. Sachons tous, en cette matière (et dans d’autres) discerner les situations avec intelligence et sans volonté de nuire.
Dans le premier cas que j’ai pris en exemple, le Juge n’a pas suivi les accusations sans fondement et accordé la garde à la mère.
Dans le second cas, la mère avait déjà la garde et saisissait le juge après avoir déposé des mains courantes contre le père de son fils de quatre ans qui se plaignait de fessées et pleurait pour ne pas aller aux weekends sur deux.  Imaginez donc l’angoisse de l’attente de la décision du juge pour cette mère. Elle vient d’être démolie et assimilée à un personnage de film dangereux, en raison d’un diagnostic, alors que les faits plaident justement en faveur de violences exercées par le père.
Non, ce n’est pas possible d’accepter cela, la déstigmatisation des maladies psychiques (car la violence et l’injustice de la stigmatisation les frappent toutes) doit s’accélérer auprès de tous, grand public, professionnels, proches, toute la société. J’y apporterai ma pierre, comme je vais le faire en mars pour la 3ème année devant des étudiants en journalisme ou lors de tables rondes dernièrement au département sur le thème « la construction d'un autre regard social sur la santé mentale : un rôle partagé ? » ou lors de présentations diverses devant des soignants ou autres étudiants.
Tous concernés !
Selon l’OMS, 1 Européen sur 4 sera touché par des troubles psychiques au cours de sa vie et donc est potentiellement une cible.
Emmanuelle DOURIEZ
Présidente de l’association Psy’hope réunissant des personnes ayant des troubles de l’humeur, notamment bipolaires et fondatrice du blog www.psyhope.fr
Médiatrice de santé pair au Centre Hospitalier Charles Perrens
Avocate inscrite à la Cour d’appel de Bordeaux pendant 10 ans